Le Camélia japonica "Désir"
Noël n'est pas encore arrivé que déjà le camélia montre ses premiers boutons de fleurs quand le reste de la végétation autour de lui est au repos. Dans notre jardin, ce camélia japonnais nommé "Désir" (famille des Theaceae) atteint une hauteur d'environ deux mètres, au pied du grand érable. Après son opulente floraison printanière, je l'avais taillé car il encombrait le passage conduisant sous l'érable. Mais même s'il supporte bien la taille, celle d'un camélia est en principe inutile : il suffit seulement de supprimer les fleurs fanées. Est-ce du à cette coupe : j'ai eu la grande surprise de le voir refleurir au début de l'automne ...
Les fleurs de notre camélia évoquent à la fois les roses et les pivoines. Elles sont doubles, d'un délicat rose pâle. Le camélia japonica 'Désir' est une fleur d'un grand classicisme, très admirée au point d'avoir inspiré à la maison Chanel un thème de haute joaillerie . Le bouton rose vif laisse apparaître une forme imbriquée, rose très pâle, sertie de pétales rose foncé de février à avril. C'est un bel arbuste vigoureux au feuillage vernissé dont la persistance rend l'hiver plus joli.
Originaires d'Asie tropicale, les camélias sont en effet des arbustes persistants idéaux en climat doux, océanique, jusqu'en région parisienne. Mais longtemps considéré comme une plante d’orangerie, le camélia n'a commencé à être planté dans les parcs de la façade atlantique seulement au début du 20e siècle. Il pousse pourtant merveilleusement sur tout le littoral maritime, sous l'influence du climat dous et humide. Sa vigueur décroît au fur et à mesure que l'on s'en éloigne. Toutefois, en respectant certaines conditions d'exposition et de plantation, le Camélia peut être cultivé dans la plupart des régions de France et des pays tempérés d'Europe.
Il peut supporter des hivers assez rigoureux, avec des températures de l'ordre de quelque -15 à -20° C, en période de dormance absolue. Les sujets centenaires qui ont supporté l'extrême rigueur de certains hivers, en témoignent. Celui de Vexford House est sorti sans dommage de la longueur glaciale de l'hiver dernier, avec pour toute protection un tapis de feuilles mortes à ses pieds. Par ailleurs, le Camélia affectionne une hygrométrie élevée. Il se plait sous la bruine, aussi l'humidité douce et régulière du climat britannique convient apparemment bien à celui de notre jardin. C'est d'ailleurs en Angleterre que des graines rapportées de Chine donnèrent des plantes pour la première fois en Europe, en 1739. L'orthographe latine est Camellia. On doit sans doute à Alexandre Dumas fils la francisation du mot, dans le titre de son fameux roman La dame aux camélias qui fut publié en 1848, inspiré par son amour pour la courtisane Marie Duplessis. La Dame aux camélias a inspiré l'opéra de Verdi, La Traviata. De nombreuses actrices ont incarné Marguerite Gautier, de Sarah Bernhardt à Isabelle Adjani, en passant par Lillian Gish.
A côté de notre camélia voisinera un banc en acacia. Sur son assise, un matelas capitonné (Comptoir de Famille) que les saisons ont piqué de quelques points de vert-de-gris et deux coussins au motif d'estampe (John Lewis - photo ci-dessus) et ce sera l'endroit rêvé pour relire Haruki Murakami, écrivain japonais né en 1949. Tous les livres de Murakami ressemblent à cette quête à la fois dérisoire et tragique: l'étrange dérive de La course au mouton sauvage, l'odyssée parfois morbide de La ballade de l'impossible, l'exode spirituel des Amants du Spoutnik, le lent naufrage des Chroniques de l'oiseau à ressort, dont le héros est peu à peu entraîné vers «cet angle mort que chacun porte en soi». Et parfois c'est la nostalgie des amours disparues qui hante Murakami: il suffit de poser sur le pick-up un vieux disque rayé de Nat King Cole pour que l'enchantement renaisse et que les deux anciens amants d'Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil renouent quelques instants avec le bonheur, avant d'être à tout jamais séparés... «La seule chose qui reste en fin de compte, c'est le désert; tout finit par s'effacer» écrit Murakami dans ce livre magnifique, aussi épuré qu'une nouvelle d'Inoué.
Mais c'est Kafka sur le Rivage que je relirai (sans doute le roman le plus représentatif de l’univers de Murakami). Un roman à la fois très japonais (un art de l'estampe, où les ombres sont toujours nimbées d'une lumière délicate) et très occidental, à cause des références littéraires: Sophocle, Shakespeare, Dostoïevski rôdent dans ce récit où le langage des chats devient clair, où des poissons tombent du ciel, où la pierre d’un sanctuaire est la porte du destin, où cohérence et contrepoint magique s'accordent avec le plus grand naturel.
En dénouant mon tablier de jardinière et en posant mon chapeau de paille, je prendrai le plus grand plaisir à relire quelques pages ... à moins qu'un instant de sublime paresse ne me fasse simplement écouter cette composition musicale de Chris, intitulée Kafka on the Shore :